Voici que ton fils est grand
(extrait
du poème en trois chants Les Vertus,
dédié à Philiberte Monnier, sa mère)
Voici que ton
fils est grand, Marie, il te regarde à présent avec
des yeux étrangers. Tu sais tout de lui, mais comment pourrait-il
te connaître ? Avant qu'il te haïsse, retire-toi. Il
faut le laisser agir seul et qu'il croie t'oublier, comme le cur
de sa poitrine. Il faut qu'il te domine si tu veux qu'il t'égale.
Laisse-le créer un Dieu à son image pour qu'il sache
le goût du néant où tu n'es pas, et qu'il te
retrouve un jour dans le déchirement de l'esprit, comme tu
le fis dans le déchirement de la chair. Sois une femme entre
les femmes, fonds tes paroles au bruit des vagues, remonte au ciel,
Étoile de la Mer
Notre-Dame,
Cur des Villes, au
cur sept fois transpercé, le
ciel entier te couronne, le
monde bat sous tes pieds. L'Église
est ton lourd manteau, sous
le couvert de ses plis, tu
tiens secret les reproches et
parfais en indulgence les
doctrinaux de ton Fils. Ton
seul petit doigt levé donne
vacance à l'enfer, le
sourire de tes yeux change
la mort en lumière.
La
lait de Marie coulait dans les paroles du Christ, mais il maudit
le figuier qui ne portait pas de figues, il insulta les Pharisiens
et chassa les marchands du Temple. Ce n'étaient pas
de bons exemples. Il prit les péchés du monde,
mais le chargea de sa croix.
Le
Fils nous met dans la gêne, nous
épouserons sa misère, nous
souffrirons avec lui, nous
essuierons son visage et
par notre économie nous
lui garderons un feu jusqu'au
plus noir de la peine. C'est
en voulant nous toucher qu'il
s'est traversé lui-même, ses
bras tendus et cloués s'ouvrent
vers nous, Inhumaines ! Nous
serons son humble mère d'infinie
consolation. Nous
feindrons l'obéissance, tant
qu'il soit las de son règne, il
nous croira ses sujettes, il
nous fera ses vertus, sans
voir nos profondeurs vertes.
He
aquí que tu hijo ha crecido...
(fragmento
del segundo canto del poèma Las Virtudes,
dedicado a Philiberte Monnier , su madre)
He
aquí que tu hijo ha crecido, María, y que ahora te
mira con ojos extraños. De él lo sabes todo, pero,
¿cómo podría él conocerte? Vete antes
de que te odie. Hay que dejarlo actuar solo y que crea olvidarte,
como el corazón en su pecho. Es necesario que te domine si
quieres que te iguale. Déjalo crear un dios a su imagen para
que conozca el gusto de la nada en la que tú no estás,
y para que un día vuelva a encontrarte en el desgarramiento
del alma, como tú lo hiciste en el desgarramiento de la carne.
Sé una mujer entre las mujeres, funde tus palabras en el
ruido de las olas, sube al cielo, Estrella de la Mar...
Nuestra
Señora, Corazón
de las Ciudades, de
corazón siete veces atravesado, el
cielo por entero te corona, el
mundo palpita bajo tus pies. La
Iglesia es tu pesado manto, al
abrigo de sus pliegues, guardas
en secreto los reproches y
llevas a la perfección de la indulgencia los
doctrinales de tu Hijo. Basta
con que levantes tu meñique para
que el infierno se aleje, la
sonrisa de tus ojos transforma
en luz la muerte.
La
leche de María fluia en las palabras de Cristo, pero él
maldijo la higuera que no daba higos, insultó a los fariseos
y echó a los mercaderes del Templo. No eran buenos
ejemplos. Tomó los pecados del mundo, pero lo cargó
con su cruz.
El
Hijo nos incomoda, abrazaremos
su miseria, sufriremos
con él, enjugaremos
su rostro y
con nuestras economías conservaremos
para él un fuego hasta
lo más obscuro de la pena. Fue
al querer tocarnos que
se atravesó a sí mismo, sus
brazos extendidos y clavados se
abren hacia nosotras, ¡Inhumanas! Seremos
su humilde madre de
infinito consuelo. Fingiremos
obedecerle, mientras
esté cansado de su reino, nos
creerá sus súbditas, hará
de nosotras sus virtudes, sin
ver nuestras verdes profundidades.
©
Adrienne
Monnier
Traducción
de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
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